En 2017, Parexgroup, groupe international de chimie de la construction, a lancé son Climate Program. Encore un grand groupe qui communique sur sa démarche développement durable, penserez-vous. Mais au contraire, c’est la première fois qu’Eric Bergé, CEO de Parexgroup, accepte de communiquer sur le sujet. Loin du greenwashing (1) ambiant, l’entreprise souhaite assumer ses responsabilités face au défi imposé par l’urgence climatique.
Comment est né ce Climate Program ?
Tout est parti d’un constat et d’une conviction personnelle. En 2016, nous faisions le constat que notre entreprise était parmi les grands gagnants de la mondialisation et de l’urbanisation du monde. Peu de temps avant avait eu lieu la COP 21.
Nous nous sommes alors demandé en quoi nous agissions pour être acteurs du changement. Clairement, ce n’était pas en recyclant nos gobelets et en triant le papier que nous pouvions estimer faire notre part. Nous avons donc décidé d’agir.
Afin de structurer notre action, nous nous sommes faits accompagner par PUR projet, une entreprise sociale qui accompagne les entreprises dans l’intégration de la problématique du climat au coeur de leur chaîne de valeur. Ils nous ont aidés à structurer notre démarche et nous ont proposé une approche en 3 axes : la mesure de notre impact carbone, un plan d’actions précis et directement lié à notre métier pour réduire notre impact, et enfin de la remédiation (2).
Votre Climate Program ne comporte donc pas qu’un volet environnemental. Il est aussi social.
Tout à fait mais cela semble logique car nous n’avons pas qu’un impact environnemental : nous avons aussi un impact social.
En participant à l’urbanisation du monde, nous sommes impliqués dans la désertification des zones rurales. PUR projet nous a proposé un programme d’actions d’agroforesterie dans la quasi-totalité des 23 pays dans lesquels nous sommes implantés.
C’était vraiment important pour nous d’agir dans chaque pays pour que cela soit concret pour tous les collaborateurs. D’autant plus que chaque projet carbone forestier est utilisé comme un moyen de favoriser le développement socio-économique des communautés locales défavorisées. Mais cette partie de notre action n’est que la cerise sur le gâteau : la remédiation nous permet de compenser l’impact carbone de nos déplacements et du commuting (3), mais ces derniers ne représentent que 2 % de nos émissions de CO2.
Nous sommes fiers de compenser les émissions liées à nos déplacements par l’agroforesterie mais nous savons que l’enjeu n’est pas là.
Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés ?
Après avoir tâtonné pendant deux ans, nous pensons qu’un parcours du type de celui préconisé par la COP 21 est envisageable : une baisse de 20 % de nos émissions sur 5 ans. Cela ne va pas forcément être facile mais c’est jouable et cela nous oblige à ne pas se contenter d’actions symboliques.
Nous devons avant tout baisser les émissions directes de notre process industriel (4 % du total) et plus encore trouver le moyen de réduire les émissions indirectes qui sont liées à nos fournisseurs : le transport et les matières premières.
Si nous devions avoir la même stratégie de compensation pour ces émissions, nous serions purement et simplement ruinés. Pourtant, en termes d’image de l’entreprise, nous pourrions très bien nous limiter à nos actions actuelles d’agroforesterie et faire croire que cela suffit à être un acteur responsable. Tout comme passer notre flotte de véhicules en hybride : cela pourrait sembler être une bonne idée mais resterait toujours epsilon par rapport à notre impact global.
Pour éviter de tomber dans le travers du greenwashing et du marketing débridé autour du développement durable, nous avons aussi pris le parti de ne pas communiquer sur nos actions tant que nous n’aurons pas de résultats concrets à présenter. Nous avons dérogé à la règle pour Empreinte car EQIOM est un de nos fournisseurs et une grande partie de notre programme va reposer sur ces derniers.
Quelles sont vos attentes vis-à-vis de vos fournisseurs ?
70 % de nos émissions sont indirectes car nous sommes une industrie de mélange. Nous voulons engager un dialogue de vérité avec nos fournisseurs, principalement ceux de matières premières (sable, ciment, additifs, polymères …).
Comme tous les industriels, nous évaluons nos fournisseurs mais nous attendons désormais d’eux des données très spécifiques. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas juste de savoir qu’elle est leur émission moyenne de C02 en Europe ou de leur filière. Quand nous achetons un ciment donné, nous voulons connaître les performances de l’usine qui produit ce ciment. Entre deux types de ciment de prix et de qualité équivalents, il y en a peut-être un qui est produit de manière beaucoup plus éco-responsable. Nous voulons pouvoir faire cet arbitrage.
Mais ces données sont très difficiles à obtenir : en moyenne, seul 1 fournisseur sur 5 est capable ou disposé à nous les transmettre. Mais ils vont devoir passer par là : le monde bouge et au-delà d’un aspect purement moral, nous finirons tous par payer le fait que nous sommes de très gros émetteurs de CO2. Autant s’y mettre tout de suite et travailler ensemble à cette réduction.
C’est le message que nous envoyons à nos fournisseurs et donc à EQIOM. D’autant plus que le domaine des liants, parmi lesquels le ciment, est le domaine dans lequel nous attendons le plus de progrès dans les 5 années à venir.
Ce programme a-t-il eu un impact fort au sein de l’entreprise, ou est-ce un programme parallèle à vos activités ?
Un peu partout dans le monde, des salariés se sont portés volontaires pour rendre notre entreprise écologiquement plus vertueuse. Des groupes de travail se sont montés de manière informelle, parfois sans pilotage hiérarchique.
En tant que CEO, je sponsorise leurs actions et ils n’ont pas toujours attendus le feu vert de leur patron direct pour se lancer. Grâce à cette agilité et à cette énergie, nous avons baissé de plus de 20 % la consommation de nos sécheurs de sable en un temps record. De plus, nous bénéficions de l’échange de bonnes pratiques entre nos différents sites à travers le monde.
Le principal levier ne vient pas tant de l’argent que nous devons mettre dans les actions mais surtout du transfert de technologies plus propres entre nos différentes implantations et de la transmission de savoir-faire. Sans compter que notre impact ne s’arrête pas aux portes de notre entreprise : nos salariés sont aussi des citoyens, des membres d’une famille. Ils parlent
autour d’eux et font évoluer les mentalités dans leur entourage, surtout dans les zones où l’urgence climatique n’est pas autant prise en compte qu’en Europe, comme en Amérique du Sud par exemple.
Avez-vous l’impression que nous assistons actuellement à une véritable mobilisation autour du changement climatique ?
Malheureusement, nous nous sentons un peu seuls. Nous sommes sans doute tous dans undéni collectif. Sans contraintes, sommes-nous capables de faire vraiment mieux que de la simple communication ? Paradoxalement, c’est en Chine que nous voyons les choses changer le plus vite avec une pression aussi soudaine que forte des autorités. Mais nous ne devons pas juste attendre la Chine fasse le boulot. Chacun doit faire sa part.
(1) Greenwashing ou “ blanchiment écologique ” : mot utilisé communément lorsqu’un message de communication abuse ou utilise à mauvais escient l’argument écologique.
(2) Remédiation : Mise en oeuvre de moyens permettant de résoudre des problèmes environnementaux.
(3) Commuting : Forme de mobilité dans un contexte professionnel. La personne travaille pendant la semaine dans un autre pays et revient le week-end dans son pays d’origine.