Sous l’impulsion du port de Marseille-Fos, 12 partenaires - industriels de la zone industrialo-portuaire de Fos, centres de recherche, start-up, institutionnels – ont décidé de s’investir dans un projet commun de recherche appliquée pour valoriser le CO2 émis par les industriels. Leur ambition : contribuer à la transition énergétique par l’innovation en testant une solution inédite de production de biomasse basée sur le recyclage biologique du CO2 industriel. Michael Parra, coordinateur du projet Vasco 2 pour le Port de Marseille-Fos, nous raconte l’histoire de ce projet ambitieux et collaboratif.
Comment est né le projet Vasco 2 ?
L’histoire commence en 2008. À l’époque, les médias parlent beaucoup de la possible utilisation du CO2 émis par les industriels mais peu de solutions concrètes émergent.
Le port de Marseille- Fos décide alors d’impulser une dynamique avec une somme d’acteurs publics et privés pour étudier les solutions possibles et définir celles qui pourraient être mises en pratique et adaptées à notre territoire. Tous ces acteurs se sont investis humainement et financièrement dans le projet avec un co-financement de l’Ademe.
Nous avons commencé par explorer une multitude de possibilités : l’enfouissement géologique, des solutions industrielles comme l’exportation vers des puits de pétrole libyens pour pousser les nappes en fin de vie ou encore la production d’hydrogène bas carbone, et enfin la bioremédiation. La bioremédiation consiste en la décontamination de milieux pollués au moyen de techniques issues de la dégradation chimique ou d’autres activités d’organismes vivants.
Nous avons ainsi décidé de faire pousser des microalgues avec du CO2. Comme ce projet se veut ambitieux et innovant, nous décidons de faire la démonstration de l’ensemble d’une filière. Il faut donc trouver une utilisation à ces micro-algues. Nous choisissons d’ainsi alimenter la filière biocarburant.
Quelles sont les contraintes liées à ce choix de la filière biocarburant ?
Il y en a une principale : le coût. Cette filière présente de faibles marges comparées au secteur de la cosmétique ou encore de la chimie verte.
Nous devons donc mettre au point une solution très efficace et peu coûteuse. Nous prenons le parti d’utiliser des bassins ouverts et non des photo-bioréacteurs (1) fermés qui coûtent beaucoup plus chers.
L’eau de mer a été privilégiée à l’eau douce pour ne pas concurrencer d’autres besoins comme les besoins agricoles. Toujours dans cette optique de frugalité, le CO2 n’est pas extrait des fumées : l’intégralité des fumées est directement amenée dans les bassins. Les interventions sur les bassins sont également limitées au possible. Quand il pleut, nous regardons ce qu’il se passe quand les bassins débordent. Quand il fait chaud, l’évaporation est un peu gérée mais le moins possible.
Comme le milieu est ouvert, nous ne faisons pas de la monoculture : nous obtenons des prairies dans lesquelles des centaines de milliers de microalgues différentes se développent, un peu comme pour une piscine dont on ne s’occupe pas et dans laquelle se développent des microalgues.
Comment les microalgues sont-elles ensuite transformées en biocarburant ?
Cette transformation se fait par liquéfaction hydrothermale. Pour faire simple, c’est de la chaleur et de la pression, et c’est la technique utilisée par la planète pendant des millions d’années
pour produire du pétrole.
Cette technologie est utilisée par le CEA de Grenoble qui fait partie des partenaires du projet et qui réussit à faire cette transformation de biomasse en biobrut (2)en quelques heures. Ce biobrut est ensuite pris en charge par Total qui caractérise le produit et fait des tests de distillation pour évaluer ce qui peut être obtenu comme biocarburant.
De quels types d’industrie proviennent les fumées utilisées ?
Comme nous utilisons les fumées dans leur intégralité, il était important d’avoir différents types de fumées.
Nous avons un premier bassin alimenté par les fumées de la société Kem One. Cette société produit du PVC et les fumées libérées sont assez propres.
Un autre bassin est à proximité de la société Solamat-Merex. Leur métier est de gérer des déchets industriels : ils valorisent les déchets au maximum et tout ce qui ne peut pas être valorisé est incinéré. Les fumées sont donc très changeantes et leur composition variée.
Pour finir, le 3e site est chez ArcelorMittal, le n°1 mondial de la sidérurgie. Les fumées sont extrêmement riches, d’autant plus qu’il est arrivé pendant le projet que le four soit alimenté par du gaz de coke.
Notre but est vraiment que la filière s’adapte à l’industrie et non l’inverse.
En parlant des industriels, quelle est leur motivation à s’investir et investir dans un tel projet ?
Les 3 industriels impliqués dans le projet ont plus ou moins les mêmes objectifs. Quand un industriel se lève le matin, il ne se demande pas comment il va pouvoir polluer la planète aujourd’hui, mais au contraire, comment il peut faire mieux pour l’environnement.
Ils cherchent tous à moins émettre de polluants, la taxe carbone aidant tout de même dans cette démarche. Mais nous avons eu de la chance d’avoir des partenaires industriels qui acceptent de mettre du temps et de l’argent dans un projet dont le seul but est de produire du savoir.
Nous savions dès le début que nous n’aurions pas un produit fini à commercialiser à l’issue du projet : la technologie n’était pas assez mature.
Qu’avez-vous appris de cette première phase d’expérimentation ?
Un de nos premiers apprentissages est que cela fonctionne ! Nous avons démontré que des fumées de process industriels, même complexes, pouvaient directement être utilisées.
Les algues se développent et ne sont pas freinées par les autres composants. Quand nous avons démarré l’expérimentation, nous n’en étions pas du tout convaincus et étions plutôt stressés. Par contre, nous sommes arrivés à la conclusion qu’il fallait sortir de l’eau de mer pour cultiver les algues.
L’un des inconvénients de l’utilisation de l’eau de mer est la présence de sel tout au long du processus. Une fois les microalgues récoltées, elles sont centrifugées et entrent dans le process pour donner du biobrut puis du biocarburant. Mais il n’y a pas de débouchées pour le sel qui devient alors une contrainte et un coût puisqu’il faudra ajouter une étape techniquement compliquée pour le retirer.
Mais n’aviez-vous pas choisi l’eau de mer pour ne pas entrer en compétition avec d’autres besoins en eau douce ?
Nous nous sommes finalement rendu compte que dans le cas spécifique du site de Fos, il n’y a pas de problème de compétitivité autour de l’eau douce : le Rhône est à proximité, sans compter le port de Marseille qui produit de l’eau brute (non potable) pour fournir les industriels pour leur réseau incendie et pour leurs process.
De plus, quand il y a un crash (mort de toutes les algues) dans un bassin d’eau douce, la culture repart beaucoup plus vite qu’avec de l’eau de mer, en 24 à 48 heures. Cela nous a permis d’augmenter nos rendements en algues et donc en biobrut.
Quelle va être la suite du projet ?
Vasco 2 arrive à son terme et nous préparons la suite. Nous sommes en train de faire le bilan et l’évaluation du programme. Nous avons donc validé la phase de culture des microalgues et de leur transformation en biobrut.
Nous sommes aujourd’hui fiers de pouvoir dire qu’il existe des équipes françaises capable de cultiver des microalgues à partir de fumées industrielles et de produire du biobrut à partir de ces microalgues. Nous avons tiré d’autres enseignements que nous gardons pour l’instant confidentiels mais, sans trahir de secrets, il y a peu de chances que la suite de notre projet, qui ambitionnera d’être la dernière étape avant l’industrialisation d’une solution, se fasse en conservant la fabrication de biocarburant comme débouchés.
Nous avons finalisé l’étude technico-économique et la maturité de cette filière sera plutôt à long terme. Les sidérurgistes sont comme les cimentiers : ils payent une taxe carbone qui ne cesse d’augmenter et veulent trouver des solutions rapides et fiables. La rentabilité de cette filière est principalement impactée par le besoin en foncier.
Les quantités de biobrut obtenu, et donc de biocarburant, lors de nos expérimentations nous font conclure que la demande d’espace pour laculture est trop importante pour être acceptable sur un territoire qui jongle en permanence entre le développement industriel et logistique et la préservation des espaces naturels. Toutefois, de nouveaux débouchés, prometteurs, ont d’ores et déjà été identifiés.
(1) Photo-bioréacteur : système assurant la production de micro-organismes photosynthétiques en suspension dans l’eau.
(2) Biobrut : pétrole « biosourcé », c’est-à-dire entièrement ou partiellement fabriqué à partir de matières d’origine biologique.