Le Clus’ter Jura est né d’une intuition : la coopération est facteur de développement économique, social et humain. En unissant les parties prenantes d’un territoire, des besoins sociaux d’intérêt général peuvent trouver une réponse que l’Etat n’a plus les moyens d’apporter. De plus, les problèmes actuels deviennent si complexes que plus personne ne peut y répondre seul. Pierre-François Bernard, dirigeant du Clus’ter Jura, a partagé avec nous cette aventure collective au service de son territoire.
Pouvez-vous nous expliquer comment cette aventure a démarré ?
Le dirigeant du groupe coopératif Demain, une SCOP (Société Coopérative et Participative) (1) de 150 personnes à Lons-le-Saunier qui collecte et traite des déchets et travaillant en insertion, a constaté que son entreprise savait insérer les personnes en difficulté dans le monde du travail, mais n’arrivait pas à jouer sur la dynamique de ce marché.
C’est ainsi qu’en 2014, il a fait naître le Clus’ter Jura en réunissant différentes parties prenantes (2) du pays lédonien (3) qu’elles soient des entreprises, des collectivités, des associations, des citoyens, des organismes de recherche ou des universités.
Notre objectif : créer de l’activité économique sur ce territoire. Nous sommes aujourd’hui constitués en SCIC, société coopérative d’Intérêt Collectif (4), avec 6 salariés et 70 sociétaires.
Comment décririez-vous le métier du Clus’ter Jura ?
Nous sommes un générateur : nous avons cette capacité à identifier les besoins du territoire et à faire émerger des projets économiques qui y répondent en mobilisant les acteurs. Pour cela, il faut
réussir à aligner les intérêts de chacun pour qu’ils apportent leur pierre à l’édifice dans une réponse économique à inventer.
Par cette alliance de partenaires, nous comblons collectivement un manque et créons ainsi de nouvelles filières économiques.
Quel exemple concret de création d’activité économique pouvez-vous nous décrire ?
Le plus emblématique est la société J’aime mes bouteilles qui vient d’être lancée. Le vignoble jurassien produit 10 millions de bouteilles par an et 70 % sont consommés localement. Elles atterrissent toutes dans des bennes à déchets, retournent chez un verrier à 200 kilomètres de là et sont chauffées à 1 200° C pour produire de nouvelles bouteilles.
Une fois ce constat fait, nous avons eu l’idée de remettre en place un système de consigne qui permet de valoriser les bouteilles usagées en les nettoyant et en les revendant aux viticulteurs.
Ce projet a nécessité de travailler avec les consommateurs pour qu’ils ramènent sans contrepartie financière les bouteilles dans des lieux de consommation ou dans des déchetteries, par engagement citoyen et pour la création d’emplois locaux. Les enseignes commerciales ont dû accepter de consacrer de la surface génératrice de chiffre d’affaires à des palettes de stockage.
Nous avons trouvé une logistique qui soit capable de travailler en flux inverse : une fois les bouteilles pleines livrées en magasin, les bouteilles vides sont ramenées à un laveur.
Nous avons demandé à chacun de ces acteurs de faire un pas de côté dans une logique d’alignement d’intérêt, pour permettre l’émergence de cette nouvelle filière. Il a fallu ajouter à cela une phase de recherche et développement, car avec l’abandon de la consigne, les colles des étiquettes sont plus adhérentes. Cette étape de décollage des étiquettes était un véritable frein à la rentabilité de la filière. Nous avons donc travaillé avec les fabricants d’étiquettes pour mettre au point une colle hydrosoluble (5).
Aujourd’hui, ce projet est en train de devenir une entreprise qui permet aux vignerons d’acheter leurs bouteilles 20 à 25 % moins cher, dans une démarche écologiquement responsable et qui permet de créer 2 emplois locaux par 500 000 bouteilles collectées.
Expliqué ainsi, cela paraittrès simple et plein de bon sens mais est-ce facile de faire faire ce pas de côté aux différents acteurs ?
C’est compliqué ! Mais c’est la beauté de la démarche ! Il y a cet instant magique au cours d’une réunion où s’opère comme une cristallisation autour de l’intérêt collectif.
Notre mission est de mettre les bonnes personnes, au bon moment, dans la bonne pièce pour que cet instant se produise.
Cela demande des mois de préparations en amont pour que chaque acteur se rende compte qu’il est en train d’oeuvrer à une action collective qui le dépasse individuellement et qu’il n’avait pas imaginé.
Comment le Clus’ter Jura se finance-t-il ?
Ce sont des subventions publiques qui nous ont permis de démarrer. Elles représentaient 80 % de nos recettes pour 20 % générées par des prestations auprès d’entreprises et de collectivités.
Aujourd’hui, nous sommes à 50/50 et nous avons pour objectif d’atteindre les 20/80.
Nous ne nous considérons pas comme un bureau d’étude mais comme un bureau de projets collectifs. Nous sommes capables de poser un diagnostic en validant le besoin, de trouver un porteur de projet, d’inventer un modèle économique et d’incuber (6) ce porteur de projet et les acteurs concernés pour mener à bien la réalisation du projet.
Nous sommes notamment reconnus pour notre capacité de discernement et de poser un go ou un no go (7) sur un projet. Car ne pas s’enliser dans un projet qui n’a pas de potentiel et se concentrer sur les projets porteurs est aussi un gain économique pour un territoire.
(1) SCOP (Société Coopérative et Participative) : en droit français, société commerciale constituée en société anonyme, société à responsabilité limitée ou société par actions simplifiée qui se distingue des sociétés classiques par une détention majoritaire du capital et du pouvoir de décision par les salariés.
(2) Parties prenantes : acteur, individuel ou collectif, activement ou passivement concerné par une décision ou un projet.
(3) Pays lédonien : structure qui regroupe plusieurs intercommunalités dans le département du Jura.
(4) SCIC, société coopérative d’Intérêt Collectif : société qui associe obligatoirement autour d’un projet des acteurs salariés, des acteurs bénéficiaires et des contributeurs pour produire des
biens ou des services d’intérêt collectif au profit d’un territoire ou d’une filière d’activités.
(5) Hydrosoluble : soluble dans l’eau.
(6) Incuber : apporter un appui en termes d’hébergement, de conseil et de financement, lors des premières étapes de la vie de l’entreprise.
(7) Un go ou un no go : un feu vert